Le château de Lavardin
le troisième palier

F - Il est plus confortable de débuter la visite du 3ème palier à l’extérieur du donjon en se rendant sur le terre-plein situé au pied de la partie nord de la chemise. De là, on peut apercevoir Montoire et son château, le village de Trôo au loin, mesurer l'épaisseur de la chemise et enfin observer le dernier étage du donjon sans trop se tordre le cou.
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Petit rappel historique avant de commenter le donjon:
Les comtes de Vendôme, Jean VII, Louis Ier et Jean VIII, sont contemporains de la guerre de Cent Ans (1337-1453). Les deux premiers ont combattu les Anglais et été faits prisonniers. Il a donc fallu verser des rançons importantes pour obtenir leur libération, ce qui explique que certaines campagnes de travaux n’ont jamais été achevées.
Ainsi, au dernier étage, on voit au-dessus du piédroit gauche de la cheminée un départ de voûte. Ces voûtes n’ont jamais été réalisées: si on élève encore légèrement son regard sur la gauche, on peut voir un « corbeau », une pierre en saillie recevant la poutre d’un plafond. S’il y avait un plafond, il ne pouvait donc y avoir de voûtes (on pourra observer la même chose dans la salle basse du donjon).

On se rend devant la porte du donjon.

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La porte du donjon
Nous sommes dans une cour intérieure. Elle était sans doute couverte: les trous nombreux qu’on aperçoit dans l’élévation du donjon recevaient des poutres rejoignant la chemise pour supporter une couverture.
À nos pieds, une trappe en béton: c’est là que débouchait le souterrain du XIIe siècle partant du second palier.
La porte n’a été ouverte qu’à la fin du XIVe siècle. Auparavant, on n’entrait jamais dans le donjon par la salle basse: il était beaucoup trop dangereux d’offrir à l’ennemi un tel accès; on y pénétrait seulement par le premier étage. Salomon Ier sur sa motte féodale se servait d’une échelle qu’il tirait une fois arrivé dans sa tour en bois. Ses successeurs, dans le donjon roman, empruntaient un pont-levis reliant la chemise au premier étage du donjon.
Il faut donc attendre la fin du XIVe siècle, la chemise étant alors suffisamment consolidée, pour que l’on s’autorise à ouvrir la salle basse du donjon.

Le blason qui orne la porte permet sans aucun doute d’attribuer à Jean VII de Bourbon, le seigneur qui ordonna cette ouverture. Jean VII de Bourbon - la Marche (le grand-père de Jean VIII mentionné à propos de l’escalier d’honneur), fut comte de Vendôme de 1372 à 1393.
Description du blason: un semis de fleur de lys, une bande sur laquelle on peut encore distinguer trois lionceaux. Le bas du blason est encadré par deux personnages. A priori un évêque coiffé de sa mître: un hommage à Hildebert le Divin, natif de Lavardin, devenu évêque du Mans puis archevêque de Tours ? Mais autre hypothèse, deux hérauts d’armes que l’on retrouve sur la tapisserie de l’Apocalypse au château d’Angers: celui de droite tenant une bannière et celui de gauche une lance ferrée.

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À l’intérieur du donjon
On peut tout d’abord remarquer deux appareils au bas du mur sud  dont les pierres sont d’une taille inférieure à celles du reste du donjon: il s’agit des maçonneries  du domicilium (logis-salle) du XIe siècle - on en a parlé au début de la visite - à partir duquel fut construit le donjon. À cette époque, on taillait la pierre de cette manière (a1 et a2).

RDC
Nous sommes dans la salle basse servant de magasin à vivre pour le donjon; ce dernier devait être autonome en cas de siège. Il y avait également un puits propre au donjon.
Comme au troisième étage, on a voulu voûter cette salle[1], mais les travaux se sont arrêtés aux formerets (les arcs sur les murs) visibles sur les trois murs non ruinés du donjon, est, sud et ouest.
Pourquoi ? Pour la même raison qu’au troisième étage: juste au-dessus des formerets, les murs est et ouest sont percés de trous recevant les solives d’un plafond. L’existence de ce plafond est incompatible avec la présence de voûtes: elles l’auraient dépassé. De plus, la pointe du formeret du mur sud a été supprimée pour laisser passer la poutre soutenant ce plafond le long de ce même mur sud.

1er ÉTAGE
Le premier étage avec sa cheminée monumentale correspond à la grande salle du château, une salle de justice, mais aussi de réception. C’est certainement là que le roi Charles VII fut reçu lors de sa venue à Lavardin. Elle est éclairée par une verrière tréflée (attribuée à Jean VII, fin XIVe). Au bas de celle-ci, on aperçoit des banquettes en vis-à-vis (b). On peut d’ailleurs observer que toutes les fenêtres du donjon sont dotées de banquettes. La chose est logique: la chemise du donjon s’élevant jusqu’au deuxième étage, il faisait plutôt sombre dans le donjon. Pour lire, il fallait donc pouvoir s’asseoir devant les fenêtres. Enfin, puisque cette salle était aussi une salle de justice, on peut remarquer qu’elle communiquait avec «les chartriers», une petite pièce creusée dans la tour sud - on voit son ouverture dans le mur ouest - où l’on entreposait «les chartres», les documents officiels sur lesquels le seigneur consignait ses décisions. Cette pièce sera ultérieurement transformée en latrines.
Vous remarquerez sans doute l'état "suspendu" de l'accès aux chartriers et des banquettes de la verrière tréflée: leur hauteur ne correspond plus à celle du plancher du premier étage. Cette anomalie est la conséquence des importants travaux de rénovation qui vont être engagés dans le donjon au XVe siècle, notamment la création d'un escalier dans la tour nord desservant quatre niveaux et non plus trois. La réalisation de ce dernier entraînant une nouvelle répartition des étages, les planchers ont donc été abaissés (l'escalier sera commenté un peu plus loin).
C'est à Louis Ier - il succède à son père, Jean VII, en 1393 [2] - qu'il faut attribuer la plus grosse partie des rénovations gothiques du donjon. Ainsi, la cheminée monumentale (c) du premier étage réalisée aux environs des années 1430: type château de Chinon, timbrée aux armes de Charles VII (trois lys surmontés d'une couronne soutenue par deux anges).

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2e ÉTAGE
C’est celui du seigneur et de ses appartements. Le seul qui ait été entièrement voûté. Là encore, c'est vraisemblablement à Louis Ier qu'il faut attribuer la rénovation du logis seigneurial, mais cette fois au début de son règne, vers 1400.
Les culots au bas des formerets portent des blasons. Deux d'entre eux, sur le mur est, sont sculptés: celui situé au-dessus de la cheminée monumentale du premier étage l'est aux armes du duc d'Anjou (d1), le second, en angle, à celles du duché de Bretagne (d2). La présence du blason angevin s'explique par le vieux lien de vassalité soumettant le comté de Vendôme à celui d'Anjou depuis le XIe siècle[3]. Celle du blason breton par le mariage au XIVe siècle du comte de Vendôme, Bouchard VI avec Alix de Bretagne, fille du duc de Bretagne, Arthur II. On verra d'ailleurs, à la fin de la visite, une autre marque de l'influence bretonne sur l'architecture du château.
Les baies rectangulaires éclairant cet étage font aussi partie de cette campagne de travaux (e). À meneau unique et horizontal, elles ont été mises en place vers 1400 remplaçant les ouvertures romanes (une ancienne baie cintrée est visible sur le mur sud) désormais obturées par les arcs de la voûte.

3e ÉTAGE
C’est l’étage que l’on a aperçu de l’extérieur du donjon. Il fut lui aussi rénové par Louis Ier pour ne pas dire créé: en effet, les observations faites in situ[4] laissent à penser qu'il n'y avait que des combles jusqu'à la fin du XIVe siècle. Ces derniers furent alors surélevés afin d'obtenir une hauteur suffisante et ériger un véritable étage. Il fallu dans le même temps rehausser les tours adjacentes pour les mettre à hauteur du donjon et surmonter ce dernier de mâchicoulis. Ainsi, le donjon (26 m de haut) pris dès lors l'aspect élancé des châteaux du XVe siècle, culminant à plus de 70 m au-dessus de la vallée du Loir.
À quoi servait le troisième étage ? Deux salles contiguës y formaient un corps de garde réservé aux hommes faisant leur ronde au sommet du donjon. Dans chacune d'elles, une cheminée fut construite. Ces cheminées, comme celles des premier et deuxième étages, font partie d'une campagne de travaux plus tardive dans le siècle: autour de 1430. Là encore, c'est la guerre qui obligeait à différer des embellissements ou à y renoncer. En effet, Louis Ier fait prisonnier à la bataille d'Azincourt en 1415, ne rentra d'Angleterre qu'après 1420 (il fallut sans doute plusieurs années pour réunir la rançon afférente à son rang). Ce n'est qu'après son retour qu'il put faire construire les cheminées du donjon contemporaines du début du règne de Charles VII (cf. le blason de la cheminée du 1er étage). En outre, leur style est plus semblable à celui du XVe siècle qu'à celui du XIVe: la cheminée de la tour du capitaine (XIVe, peut-être érigée sous Jean VII) a des piédroits moulurés contrairement à ceux du donjon.

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L’ESCALER EN VIS
Jusqu’à la fin du XIVe siècle, on passait d’un étage à l’autre au moyen d'échelles en bois ou d'escaliers pliables et escamotables. C’était laid et peu pratique et Louis Ier dans un souci de confort et d’esthétisme fit creuser, en 1400, la tourelle-contrefort du XIIe siècle pour y installer un escalier en pierre.
Cet escalier en vis (un colimaçon) desservait toutes les deux volées de marches, les trois nouveaux étages du donjon - on voit parfaitement les vestiges des trois portes dans l'épaisseur du mur ouest. Comme nous l'avons préalablement annoncé, la réalisation de cet escalier s'inscrit dans une vaste une campagne de réorganisation architecturale du donjon avec à la clé sa surélévation et le passage de trois niveaux (RDC + 2 étages) à quatre (RDC + 3 étages). Ce remaniement impliquait donc d'ajuster le niveau des planchers des étages à celui des paliers de l'escalier. À noter que ce dernier desservait également le chemin de ronde sommital.
Ce fut certainement une prouesse architecturale que d'intégrer cette magnifique vis sur plan octogonal dans une tour du XIIe siècle préalablement pleine. Elle fut construite sur le modèle de la grande vis du Louvre érigée quant à elle vers 1365.
Si ses marches ont aujourd'hui disparu, on peut encore apprécier le raffinement de son décor gothique composé de voûtes et de colonnettes.

Avant de sortir du donjon, un mot sur le mur nord ou du moins sur ce qu’il en reste : un bloc effondré, largement de travers et parcouru par un arc de voûte. Il correspond à l’arc formeret du deuxième étage. Le mur est donc tombé de deux étages, résultat du travail de sape que l’on va évoquer un peu plus loin.

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Sortir du donjon, le contourner par le sud et se rendre derrière ce dernier, devant les vestiges d'une imposante tour aujord'hui penchée.

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G - La tour ouest
Nous revenons maintenant plus de cent cinquante ans en arrière, dans la première moitié du XIIIe siècle. C'est à cette époque que le donjon fut renforcé par deux structures défensives: la chemise dont nous avons déjà parlé et cette massive tour semi-circulaire adossée à son mur mur ouest. Cette tour pleine à sa base comportait une salle voûtée au premier étage avec une loge à archère. Elle s'élevait jusqu'au sommet du donjon et lorsqu'elle fut surélevée au XVe siecle pour racheter la nouvelle hauteur du donjon, une salle y fut construite au troisième étage. De cette salle haute, il ne reste aujourd'hui qu'une cheminée placée à l'extérieur du mur ouest vers la tour flanquante.
S'il n'en reste aujourd'hui que des ruines, c'est parce qu'elle a été sapée lors du démantèlement du château. Nous avons mentionné à propos de l'état ruiné de la tour du capitaine le siège du château instauré en 1590 par les Huguenots sous l'égide du roi Henri IV. Après la capitulation des assiégés, le roi ordonna le démantèlement du château (il en fit de même pour ceux de Vendôme et Montoire, entre autres).
On peut s'étonner aujourd'hui que le roi ait fait détruire ses propres châteaux - il était également duc de Vendôme -, mais ces derniers étaient investis par la Ligue catholique dressée contre lui. Celle-ci refusait de reconnaître ce jeune roi protestant et il faudra attendre 1593, année de la conversion de Henri IV au catholicisme pour que la guerre civile prenne fin.
Quoi qu'il en soit, les sapeurs firent leur travail: les trois semaines de siège ayant suffisamment ruiné les vieux logis et la tour du capitaine, il restait à rendre inutilisable le donjon. La technique de sape était la suivante: creuser des galeries (des mines) sous l'édifice, les étayer avec du bois puis y mettre le feu provoquant l'effondrement de ce dernier. C'est ainsi que cette tour flanquante et le mur nord du donjon se sont écroulés de deux étages. Les enceintes furent elles aussi sapées.

On descend vers le châtelet par des marches en bois jusqu'à se retrouver face au mur sud du donjon.

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H - Les mâchicoulis
Les mâchicoulis du donjon de Lavardin sont typiques des châteaux de la Loire de l'époque (cf. Sully ou Saumur), d'où leur appellation: de type ligérien-tourangeau. Mis en place au cours de la campagne de travaux engagée par Louis Ier à partir de 1400, ils complétaient avec élégance le système défensif du donjon et remplaçaient les hourds en bois - un chemin de ronde en encorbellement percé d'orifices dans son plancher - hérités du donjon roman. Ils sont composés de quatre corbeaux moulurés surmonté d'un parapet décoré d'ogives.

Ils sont à comparer avec ceux du châtelet, de type breton, en pyramide inversée. La présence de ces derniers à Lavardin est à rapprocher de celle du blason du duc de Bretagne aperçu dans le logis seigneurial du donjon. Alix de Bretagne, fut l'épouse du comte Bouchard VI; on lui attribue également des travaux castraux à Vendôme (entre 1350 et 1375).

On achève la descente vers le châtelet et l'on peut envisager une légère butte se trouvant derrière la cabane d'accueil au bas du mur sud-ouest ceignant le 2ème palier. Des sarcophages mérovingiens (VIe siècle) y ont été retrouvés.

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- palier 2
- palier 1


[1] Sans doute Jean VII à la fin de son règne. Les travaux des arcs de la salle basse sont antérieurs à ceux  du 2e étage.

[2] Louis Ier de Bourbon-Vendôme (1376-1446) devient officiellement comte en 1403 lorsque sa mère Catherine, comtesse douairière, aliène ses droits en sa faveur. Chambellan royal de Charles VI puis Charles VII, Louis reste fidèle à la couronne française alors que son frère aîné, Jacques, comte de la Marche, a choisi le camp adverse anglo-bourguignon.

[3] Certains visiteurs s’étonnent de la présence des armes angevines à Lavardin synonymes, selon eux, de l'adversaire anglais. Si au XIIe siècle, les comtes d'Anjou étaient effectivement Plantagenêt (Geoffroy V le Bel, Henri II, Richard Cœur de Lion), le passage au XIIIe siècle marque la fin de cette 1ère Maison d'Anjou lorsque Philippe Auguste la confisque à Jean sans Terre en 1203. De plus, si les comtes de Vendôme étaient bien vassaux de ceux d'Anjou depuis le règne de Foulques Nerra sur l'Anjou au XIe siècle, ils n'en ont pas toujours été des alliés fidèles: ainsi, le siège de Lavardin par Richard Cœur de Lion au XIIe. Après l'annexion de la province par Philippe Auguste, l'Anjou restera dès lors acquise au royaume de France. En 1356, le roi Jean II le Bon la donne en apanage à son fils Louis de France, frère cadet de Charles V, et l’érige en duché. Le blason qui nous intéresse est donc celui de cette 2nde Maison d’Anjou, plus précisément celui de Louis II d'Anjou, fils de Louis de France et contemporain de Louis Ier, comte de Vendôme.

[4] J.-C. Yvard, Le donjon résidentiel de Lavardin vers l’an 1400, p.40

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