Petit rappel historique avant de commenter le donjon:
Les comtes de Vendôme, Jean VII, Louis Ier et Jean VIII, sont
contemporains de la guerre de Cent Ans (1337-1453). Les deux premiers
ont combattu les Anglais et été faits prisonniers. Il a donc fallu
verser des rançons importantes pour obtenir leur libération, ce qui
explique que certaines campagnes de travaux n’ont jamais été achevées.
Ainsi,
au dernier étage, on voit au-dessus du piédroit gauche de la cheminée
un départ de voûte. Ces voûtes n’ont jamais été réalisées: si on élève
encore légèrement son regard sur la gauche, on peut voir un
« corbeau », une pierre en saillie recevant la poutre d’un
plafond. S’il y avait un plafond, il ne pouvait donc y avoir de voûtes
(on pourra observer la même chose dans la salle basse du donjon).
On se rend devant la porte du donjon.
Le blason qui
orne la porte permet sans aucun doute d’attribuer à Jean VII de
Bourbon, le seigneur qui ordonna cette ouverture. Jean VII de Bourbon -
la Marche (le grand-père de Jean VIII mentionné à propos de l’escalier
d’honneur), fut comte de Vendôme de 1372 à 1393.
Description du blason: un semis de fleur de lys, une bande sur
laquelle on peut encore distinguer trois lionceaux. Le bas du blason est
encadré par deux personnages. A priori un évêque coiffé de sa mître: un
hommage à Hildebert le Divin, natif de Lavardin, devenu évêque du Mans
puis archevêque de Tours ? Mais autre hypothèse, deux hérauts d’armes
que l’on retrouve sur la tapisserie de l’Apocalypse au château d’Angers:
celui de droite tenant une bannière et celui de gauche une lance
ferrée.
RDC
Nous sommes dans la salle
basse servant de magasin à vivre pour le donjon; ce dernier devait être
autonome en cas de siège. Il y avait également un puits propre au
donjon.
Comme au troisième étage, on a voulu voûter cette salle[1], mais les travaux se sont arrêtés
aux formerets (les arcs sur les murs) visibles sur les trois murs non
ruinés du donjon, est, sud et ouest.
Pourquoi ? Pour la même raison qu’au troisième étage: juste
au-dessus des formerets, les murs est et ouest sont percés de trous
recevant les solives d’un plafond. L’existence de ce plafond est
incompatible avec la présence de voûtes: elles l’auraient dépassé. De
plus, la pointe du formeret du mur sud a été supprimée pour laisser
passer la poutre soutenant ce plafond le long de ce même mur sud.
3e ÉTAGE
C’est l’étage que l’on a aperçu de l’extérieur du donjon. Il fut
lui aussi rénové par Louis Ier pour ne pas dire créé: en effet, les
observations faites in situ[4]
laissent à penser qu'il n'y avait que des combles jusqu'à la fin du
XIVe siècle. Ces derniers furent alors surélevés afin d'obtenir une
hauteur suffisante et ériger un véritable étage. Il fallu dans le même
temps rehausser les tours adjacentes pour les mettre à hauteur du donjon
et surmonter ce dernier de mâchicoulis. Ainsi, le donjon (26 m de haut)
pris dès lors l'aspect élancé des châteaux du XVe siècle, culminant à
plus de 70 m au-dessus de la vallée du Loir.
À quoi servait le troisième étage ? Deux salles contiguës y
formaient un corps de garde réservé aux hommes faisant leur ronde au
sommet du donjon. Dans chacune d'elles, une cheminée fut construite. Ces
cheminées, comme celles des premier et deuxième étages, font partie
d'une campagne de travaux plus tardive dans le siècle: autour de 1430.
Là encore, c'est la guerre qui obligeait à différer des embellissements
ou à y renoncer. En effet, Louis Ier fait prisonnier à la bataille
d'Azincourt en 1415, ne rentra d'Angleterre qu'après 1420 (il fallut
sans doute plusieurs années pour réunir la rançon afférente à son rang).
Ce n'est qu'après son retour qu'il put faire construire les cheminées
du donjon contemporaines du début du règne de Charles VII (cf. le blason
de la cheminée du 1er étage). En outre, leur style est plus semblable à
celui du XVe siècle qu'à celui du XIVe: la cheminée de la tour du
capitaine (XIVe, peut-être érigée sous Jean VII) a des piédroits
moulurés contrairement à ceux du donjon.
L’ESCALER EN VIS
Jusqu’à
la fin du XIVe siècle, on passait d’un étage à l’autre au moyen
d'échelles en bois ou d'escaliers pliables et escamotables. C’était laid
et peu pratique et Louis Ier dans un souci de confort et d’esthétisme
fit creuser, en 1400, la tourelle-contrefort du XIIe siècle pour y
installer un escalier en pierre.
Cet escalier en vis (un colimaçon)
desservait toutes les deux volées de marches, les trois nouveaux étages
du donjon - on voit parfaitement les vestiges des trois portes dans
l'épaisseur du mur ouest. Comme nous l'avons préalablement annoncé, la
réalisation de cet escalier s'inscrit dans une vaste une campagne de
réorganisation architecturale du donjon avec à la clé sa surélévation et
le passage de trois niveaux (RDC + 2 étages) à quatre (RDC + 3 étages).
Ce remaniement impliquait donc d'ajuster le niveau des planchers des
étages à celui des paliers de l'escalier. À noter que ce dernier
desservait également le chemin de ronde sommital.
Ce fut certainement
une prouesse architecturale que d'intégrer cette magnifique vis sur
plan octogonal dans une tour du XIIe siècle préalablement pleine. Elle
fut construite sur le modèle de la grande vis du Louvre érigée quant à
elle vers 1365.
Si ses marches ont aujourd'hui disparu, on peut
encore apprécier le raffinement de son décor gothique composé de voûtes
et de colonnettes.
Avant de sortir du donjon, un mot sur le mur nord ou du moins sur ce qu’il en reste : un bloc effondré, largement de travers et parcouru par un arc de voûte. Il correspond à l’arc formeret du deuxième étage. Le mur est donc tombé de deux étages, résultat du travail de sape que l’on va évoquer un peu plus loin.
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Sortir du donjon, le contourner par le sud et se rendre derrière ce dernier, devant les vestiges d'une imposante tour aujord'hui penchée.
On descend vers le châtelet par des marches en bois jusqu'à se retrouver face au mur sud du donjon.
Ils sont à comparer avec ceux du châtelet, de type breton, en pyramide inversée. La présence de ces derniers à Lavardin est à rapprocher de celle du blason du duc de Bretagne aperçu dans le logis seigneurial du donjon. Alix de Bretagne, fut l'épouse du comte Bouchard VI; on lui attribue également des travaux castraux à Vendôme (entre 1350 et 1375).
On achève la descente vers le châtelet et l'on peut envisager une légère butte se trouvant derrière la cabane d'accueil au bas du mur sud-ouest ceignant le 2ème palier. Des sarcophages mérovingiens (VIe siècle) y ont été retrouvés.
[1] Sans doute Jean VII à la fin de son règne. Les travaux des arcs de la salle basse sont antérieurs à ceux du 2e étage.
[2] Louis Ier de Bourbon-Vendôme (1376-1446) devient officiellement comte en 1403 lorsque sa mère Catherine, comtesse douairière, aliène ses droits en sa faveur. Chambellan royal de Charles VI puis Charles VII, Louis reste fidèle à la couronne française alors que son frère aîné, Jacques, comte de la Marche, a choisi le camp adverse anglo-bourguignon.
[3] Certains visiteurs s’étonnent de la présence des armes angevines à Lavardin synonymes, selon eux, de l'adversaire anglais. Si au XIIe siècle, les comtes d'Anjou étaient effectivement Plantagenêt (Geoffroy V le Bel, Henri II, Richard Cœur de Lion), le passage au XIIIe siècle marque la fin de cette 1ère Maison d'Anjou lorsque Philippe Auguste la confisque à Jean sans Terre en 1203. De plus, si les comtes de Vendôme étaient bien vassaux de ceux d'Anjou depuis le règne de Foulques Nerra sur l'Anjou au XIe siècle, ils n'en ont pas toujours été des alliés fidèles: ainsi, le siège de Lavardin par Richard Cœur de Lion au XIIe. Après l'annexion de la province par Philippe Auguste, l'Anjou restera dès lors acquise au royaume de France. En 1356, le roi Jean II le Bon la donne en apanage à son fils Louis de France, frère cadet de Charles V, et l’érige en duché. Le blason qui nous intéresse est donc celui de cette 2nde Maison d’Anjou, plus précisément celui de Louis II d'Anjou, fils de Louis de France et contemporain de Louis Ier, comte de Vendôme.
[4] J.-C. Yvard, Le donjon résidentiel de Lavardin vers l’an 1400, p.40
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